Réflexions et perspectives sur un modèle en évolution
Les manquements révélés par la crise sanitaire
La crise sanitaire que nous traversons, et dont la société française commence à absorber les conséquences économiques, a mis en évidence un certain nombre d’insuffisances au plan de la capacité administrative à acheter dans l’urgence des produits vitaux. Les marchés publics, instruments de l’achat pour la puissance publique, ont été naturellement pointés du doigt à raison de leur subordination à un cadre juridique contraint qui, dans un contexte de pénurie, aurait retourné la logique concurrentielle normalement imposée aux fournisseurs contre les acheteurs eux-mêmes. On a ainsi assisté à une véritable compétition entre États, y compris européens, mais également entre État et collectivités pour accéder aux stocks convoités.
Si la situation actuelle a pu traduire une forme d’incapacité à assurer un approvisionnement d’urgence, notamment en mobilisant des pratiques issues du privé, comme le recours à des intermédiaires en mesure de sourcer les usines productrices et de garantir les commandes, le cadre d’achat public en vigueur n’est pas responsable de la dépendance industrielle française à la Chine s’agissant de produits relevant des stocks stratégiques de l’État.
En revanche, les fragilités qui ont été révélées et qui nécessitent sans aucun doute une révision de nos stratégies, peuvent trouver dans les marchés publics des instruments d’accompagnement vers davantage d’autonomie, si tant est que ces possibilités soient connues et maîtrisées. En effet, le cadre juridique existant propose déjà de nombreuses configurations propices à privilégier des stratégies d’acquisition de biens et services plus en phase, non seulement avec les enjeux de sécurisation des approvisionnements, mais également au service d’un achat plus responsable.
L’achat responsable étant celui qui intègre les externalités pour valoriser les retombées positives stratégiques, économiques, sociales et environnementales. Dès lors, l’achat public responsable revêt une importance capitale au moment où la relance économique annoncée doit nécessairement passer par une commande publique au service des politiques publiques et incarnation de ces mêmes politiques. C’est pourquoi il convient d’envisager l’achat public, non seulement comme un acte juridique, mais aussi dans sa dimension économique et par son alignement sur les politiques publiques qu’il entend servir. Nous nous proposons ici d’éclairer certaines pistes pour gagner en maturité sur ces aspects qu’il est indispensable d’envisager en complémentarité pour faire des pratiques d’achat un véritable accélérateur des politiques publiques.
L’assouplissement du cadre juridique
L’achat public s’inscrit dans un cadre juridique contraint, qui s’est toutefois assoupli pour introduire de nouveaux leviers de promotion des achats responsables.
Les contraintes normatives
En premier lieu, il convient de replacer la commande publique dans son cadre juridique afin d’en comprendre les points structurants et les espaces de liberté qui s’insinuent progressivement pour permettre à un achat public responsable de se déployer.
Ainsi, il faut rappeler que le droit de la commande publique, s’il est certes une matière technique, ne relève pas exclusivement du strict domaine réglementaire. Il subit l’influence des traités internationaux qui le subordonnent aux règles du libre-échange, notamment à travers l’Accord sur les marchés publics2 qui, bien que continuant d’exclure certains secteurs, tend vers une plus grande intégration des règles d’achat public nationales. De même, la clause de la nation la plus favorisée issue des accords OMC implique d’offrir aux fournisseurs un niveau de traitement équivalent, quelle que soit leur origine ou leur puissance, ce qui a eu pour corollaire la montée en puissance de la Chine3 comme fournisseur du monde.
Au plan européen, le droit de la concurrence, qui s’est construit sur les fondements mêmes du Traité (libre circulation et non-discrimination), érige en principes absolus la transparence des procédures, la mise en concurrence et exclue toute forme de discrimination selon la nationalité. Souvent accusé de consacrer la toute-puissance du libre-échange au détriment des objectifs non-économiques de politique publique, ce droit s’enrichit pourtant progressivement de préoccupations sociales et environnementales.
Ainsi, la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics prévoit l’utilisation de considérations environnementales et sociales dans les spécifications techniques et les critères d’attribution des marchés et étend le champ des marchés réservés aux opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou défavorisés.
De la même manière, si la préférence locale d’achat est prohibée en raison du respect du droit de la concurrence (CJCE, 3 juin 1992, C-360/89), celui-ci n’interdit pas de recourir au critère de proximité s’il est établi qu’il contribue à une meilleure exécution du marché (CE, 9 juil. 1975, Ville des Lilas).
En France, l’égalité de traitement des candidats, associée à la liberté d’accès à la commande publique et à la transparence des procédures, constitue un principe de valeur constitutionnelle4. Positionnées au sommet de la hiérarchie des normes, le Conseil d’État a logiquement sanctionné la méconnaissance des règles de la concurrence tant communautaires (CE, sect., 3 nov. 1997, Million et Marais) qu’internes (CE, 17 novembre 2006, ANPE, n° 290712) et a consacré à ce sujet son rapport public de 2002, Collectivités publiques et concurrence. En outre, la réforme du code des marchés publics de 2015 renforce le principe de mise en concurrence qui excède désormais les simples obligations procédurales pour s’inscrire dans une obligation de résultat (à la puissance publique de créer les conditions de l’égalité entre candidats) tout en laissant l’acheteur public libre des moyens de cette mise en concurrence.
L’évolution du droit de la commande publique est ainsi fortement marquée par l’affirmation parallèle d’un puissant droit de la concurrence et la pénalisation de la matière avec la création par la loi du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés du délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal5). Le socle juridique n’a depuis cessé de s’enrichir, notamment avec La loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 » de 2016, de même que se sont renforcées les dimensions de contrôle et de sanction avec la montée en puissance des juridictions financières sur ces aspects.
Si ce double-mouvement a pu contribuer à l’assainissement des pratiques – bien que les grands scandales de l’attribution de marchés publics fassent toujours la une7 – il a également conduit à une forme de repli des acheteurs sur leurs habitudes procédurales en raison du risque de contentieux, qui explique en partie le faible recours au sourçage. Ces craintes ont ainsi pu freiner l’appropriation des modalités nouvelles permettant d’orienter les achats vers davantage de durabilité et de responsabilité sociale. Le cadre juridique de l’achat responsable se caractérise ainsi par la subordination aux grands principes de la commande publique auxquels s’adjoignent des instruments nouveaux proposés tant au niveau européen que national, instruments encore insuffisamment mobilisés en partie par méconnaissance, mais également en raison d’arguments relatifs à la sécurité juridique qui peuvent être surestimés par les services acheteurs.
L’assouplissement normatif
Toutefois, la crise actuelle rebat littéralement cet état de fait avec, d’une part, des mesures directes très opérantes qui assouplissent singulièrement le cadre de concurrence et, d’autre part des réflexions plus profondes qui appellent des changements doctrinaires et qui doivent se décliner dans les pratiques d’achat.
À signaler également le lancement par la DAJ et la DAE des travaux d’enrichissement du Guide sur les aspects sociaux de la commande publique.
Allègement progressif des contraintes procédurales, renforcement de la négociation et modification des habitudes de consommation et des usages dans une perspective plus durable participent d’une lame de fond qui tend au renforcement d’un achat public au service d’une stratégie. À ce titre, parler d’achat responsable c’est véritablement parler de l’achat de demain qui se préfigure aujourd’hui.
Au plan des mesures d’urgence, dont la tendance est au renforcement il faut noter, entre autres :
- De nouveaux seuils de dispense temporaire de procédure pour les marchés publics de travaux et les marchés de fournitures de denrées alimentaires ;
- L’augmentation temporaire des montants des avances, l’adaptation des délais de remise des plis et des documents de consultation, la prolongation des contrats en cours et l’assouplissement de leurs conditions d’exécution ;
- Des marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence pour des « secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique » ;
- Un accès facilité à la commande publique pour les entreprises en difficulté (suppression de l’obligation de justifier pour une entreprise en redressement de l’habilitation à poursuivre son activité pendant la durée prévisible du contrat ainsi que la suppression de la résiliation du contrat de plein droit en cas de procédure de redressement judiciaire) ;
- La généralisation à tous les contrats globaux du dispositif en faveur des PME prévu pour les marchés de partenariat
La nouvelle dimension achat des marchés publics
Les marchés publics, qui restent régis par le droit, ont progressivement intégré la dimension économique de l’acte d’achat, mais tant les pratiques que les acteurs doivent encore se renforcer pour en exploiter pleinement les possibilités.
Le processus d’achat public
Sans processus clairement identifié, l’achat public reste difficile à appréhender. Il n’est d’ailleurs souvent défini que par sa soumission au droit de la commande publique et par opposition à l’efficacité supposée des achats privés.
Si l’achat réalisé par le consommateur a fait l’objet de nombreuses théorisations8, l’achat public n’est en effet pas encore évalué d’un point de vue comportemental et au travers de problématiques Marketing.
Pourtant, envisagé du point de vue de l’utilisateur final, l’acte d’achat d’une personne publique présente de nombreuses similitudes avec celui réalisé pour le compte d’entreprises privées qui ont rapidement su intégrer cette dimension. Depuis plus de 30 ans, les opérateurs privés se sont dotés d’instruments et d’une fonction achat permettant de formaliser des processus rigoureux. Dans un contexte de pression concurrentielle accrue, accentué par le passage à une économie globalisée, les entreprises ont dû se tourner vers leurs achats pour améliorer leurs marges de manière efficiente. Le métier d’acheteur a ainsi évolué. D’abord associé à la notion, plutôt péjorative, de cost killer, celui-ci exige dorénavant des compétences élargies qui justifient son positionnement stratégique au sein d’une entreprise. Créateur de valeur, l’acheteur est aujourd’hui celui qui permet à son entreprise de conserver ses marges, de nouer des partenariats stratégiques avec des fournisseurs, de rechercher l’innovation, voire de contribuer à la bonne image de son groupe à travers la mise oeuvre d’une politique d’achats durables.
Cette logique de professionnalisation se retrouve dans la sphère publique qui fait également face à des problématiques structurelles, organisationnelles et, pour certains pouvoirs adjudicateurs, à une baisse de leurs dotations. Depuis 10 ans, et avec les grands projets de mutualisation d’opérateurs 9publics, la mise en place du SAE devenu DAE10, ou encore les différentes réformes du droit de la commande publique – évoquées supra -, l’achat public s’est modernisé et a cherché à appliquer des instruments et des processus éprouvés dans le privé. Il est dorénavant possible de formaliser un processus d’achat public inspiré de ceux pouvant être appliqués au sein d’une entreprise privée ou du point de vue du consommateur.
En effet, tous partagent, avant tout, le même objectif primaire : la satisfaction d’un besoin.
Celle-ci est le résultat d’un processus achat qu’il est possible de transposer à l’achat public :
Par méconnaissance ou frilosité, la peur du recours et la pression hiérarchique pouvant conduire à une inertie décisionnelle, les acheteurs publics se sont pendant longtemps uniquement intéressés à la mise en concurrence et au respect des procédures.
Or, à l’appui de ce processus, qui permet d’envisager l’achat public au travers de l’utilisateur final et du besoin à satisfaire, l’amélioration de la performance de la commande publique dépend de la mise en place de stratégies efficaces adossées à des objectifs qualitatifs et quantitatifs identifiés à chacune des étapes. Parmi ces derniers, les questions de durabilité et de responsabilité sociale se hissent au premier rang des préoccupations des opérateurs publics.
Un recueil de leviers d’achat
Optimiser économiquement sa stratégie d’achats dès l’identification du besoin et jusqu’au suivi de l’exécution du marché devient dès lors essentiel pour générer des gains (Qualité/Coûts/Délais).
Toutefois, si la boite à outils existe, il faut désormais que les services acheteurs s’en saisissent pleinement, ce qui suppose en corollaire que ces derniers ne soient plus perçus uniquement comme les garants de la conformité juridique des procédures.
Un moyen de déploiement de politiques publiques
L’achat public constitue un levier de mise en œuvre efficiente des politiques publiques.
On le voit, concilier régularité et performance peut parfois sembler une gageure. Pourtant, il s’agit de la clé de l’alignement de l’achat public sur les politiques publiques dont il est l’instrument. A l’instar de tout acte d’achat, au-delà de la satisfaction du besoin auquel elle répond, la commande publique est le vecteur de mise en oeuvre d’objectifs de politiques publiques dont le spectre dépasse largement l’objet d’achat lui-même.
Stimuler l’économie
Ainsi, dans le contexte de crise actuelle, la relance économique par l’État se traduit naturellement par le recours à la commande publique en vue de stimuler la reprise économique11.
Toutefois, la matérialisation dans les carnets de commande des entreprises visées ne saurait être garantie uniquement par une stricte application du cadre juridique et une analyse économique en bonne et due forme.
En effet, pour maximiser l’effet de la reprise escomptée, encore faut-il que les attributaires des marchés publics correspondent aux entreprises dont la dynamisation est recherchée, à savoir celles qui produisent et emploient sur le territoire. Or, en application du droit de la concurrence, la préférence locale est clairement interdite par le code des marchés publics.
Pour autant, des leviers sont disponibles. Il s’agit dès lors de les mobiliser pour répondre efficacement à ces objectifs de politique publique.
Ces différents moyens mobilisables pour atteindre l’objectif souhaité doivent néanmoins, pour ne pas se révéler contre-productifs, être mesurés à l’aune de leurs bénéfices et inconvénients, notamment s’agissant de leur éventuelle complexité. En effet, les marchés doivent rester attractifs pour les entreprises cibles et ne doivent, à ce titre, pas être trop complexes afin, entre autres, que les PME locales puissent y répondre.
Ainsi, et de manière non exhaustive, on pourra recourir à différents outils :
1. Au plan de la forme des marchés et de la procédure :
- L’allotissement systématique dont il faut par ailleurs rappeler qu’il s’agit d’un principe de la commande publique et que sa méconnaissance est sanctionnée qui permet d’ouvrir l’accès aux
marchés publics à un spectre d’acteurs plus larges, notamment ceux de petite taille - Le sourçage préalable pour une meilleure connaissance des fournisseurs et une contribution à la précision du besoin. L’acte d’achat n’est pas un acte hors sol qui s’affranchit de ce que le
marché peut proposer, il se nourrit aussi de l’offre existante - Un effort de publicité au delà des obligations réglementaires si nécessaire. L’appel public à la concurrence relève de la stratégie d’achat et, pour inciter des entreprises peu familières des marchés publics à se positionner, il peut être nécessaire de faire un effort d’information à destination des acteurs économiques du secteur visé
- Le recours au partenariat d’innovation lorsqu’il s’agit, outre de satisfaire à un besoin pour lequel la solution n’existe pas encore, de stimuler l’innovation dans une filière.
2. Sur le fond
- Des exigences spécifiques liées à la sécurité des approvisionnements . Il s’agit d’un enjeu majeur qui peut faire l’objet d’un critère de choix pour les biens et services stratégiques
- Des clauses d’audit. Au titre des exigences d’approvisionnement, la personne publique est fondée à contrôler les processus qui s’y rapportent
- Des clauses de délais. Pour sécuriser les approvisionnements, il est légitime de fixer des exigences de réactivité, ce qui doit en corollaire raccourcir les ci rcuits ;
- Le recours aux circuits courts pour la restauration, autorisé depuis la publication du décret n°2011 1000 (25 août 2011)
- La valorisation des labels. La réforme des marchés publics, issue de l’ordonnance n° 2015 899 du 23 juillet 2015 et de son décret d’application n°2016 360 du 25 mars 2016, autorise et encadre le
recours aux labels comme technique d’achat, ce qui permet de privilégier des approvisionnements responsables.
3. Pour aller plus loin, notamment en termes d’objectifs sociaux et environnementaux
- Des clauses d’insertion. L’objectif officiel à long terme est d’atteindre 15% de marchés (en nombre) comportant ces clauses sociales (heures d’insert ion, mais également quotas d’apprentissage)
- Des critères relevant du développement durable (listés dans le décret du 25 mars 2016)
- La notation du bilan carbone et l’intégration des externalités négatives dans une approche dite du « coût du cycle de vie ».
Accompagner la transition écologique
Parmi les instruments au service des objectifs de développement durable, le bilan carbone est une notion à manipuler avec précaution car bon nombre d’entreprises ne sont pas encore aptes à réaliser ces calculs. En revanche, demander dans le marché à quantifier quelques composantes simples du bilan carbone est plus accessible. Il s’agit là d’accompagner le changement culturel appelé par nos politiques environnementales et nos engagements internationaux. Une PME ne sait pas nécessairement évaluer le bilan carbone exhaustif d’une chaîne de production, mais elle peut être en mesure de fournir des indications sur ses émissions de polluants, l’origine des matières premières, les kilomètres parcourus et les véhicules utilisés, le taux de recyclage, ses éventuelles initiatives en matière d’économie circulaire… Ce type de questionnements dans le cadre d’un marché peut s’avérer in fine plus objectif, plus simple à traiter puis à évaluer qu’une exigence générique relative aux engagements environnementaux des candidats.
Concernant les approvisionnements de grande ampleur, l’acheteur aura tout intérêt à mener une réflexion préalable sur les potentielles externalités produites dans le cadre des fournitures visées par le marché. Au-delà des exigences normatives qui peuvent et doivent être mises en oeuvre, c’est l’ensemble des conditions qui président à la délivrance des fournitures qui doivent rentrer dans le champ de l’analyse des offres. C’est à cette condition que les objectifs poursuivis dans le cadre de nos politiques publiques trouveront dans l’achat l’instrument pertinent de mise en œuvre qu’il doit être.
L’achat public est au service de l’intérêt général et, à ce titre, les marchés sont légitimes à introduire de nouveaux critères de choix directement déclinés des grands objectifs des politiques publiques. Peuvent ainsi être jugés – et peser dans l’attribution du marché – la contribution des offres à la réalisation de ces grands objectifs. De même si la cotation financière des externalités négatives reste compliquée à évaluer, il n’en demeure pas moins nécessaire de les faire peser dans le jugement des offres.
Cela suppose une sensibilisation des acheteurs publics, d’une part aux grands enjeux auxquels ils contribuent dans leurs pratiques quotidiennes, d’autre part à l’ensemble des moyens dont ils disposent effectivement pour produire un achat responsable. À ce titre, tant la Direction des achats de l’Etat (DAE) que la Direction des affaires juridiques (DAJ) publient des guides pratiques à l’attention des pouvoirs adjudicateurs.
Contribuer à l’autonomie stratégique
La notion d’achat souverain est régulièrement convoquée pour s’opposer à des acquisitions qui contreviennent aux intérêts, notamment économiques, nationaux. Si on en comprend le fondement, on préfèrera toutefois la notion d’autonomie stratégique, plus conforme au cadre juridique applicable.
Le Health data hub de l’État a fait les frais il y a quelques mois d’incompréhensions typiques autour de ces concepts. En sélectionnant, sans appel d’offre, Microsoft Azure pour ses besoins, le Health data hub a fait l’objet d’une vive polémique mêlant préférence nationale/européenne et problématiques de sécurité des données – Microsoft étant soumis de facto au Cloud act américain. En substance, la réponse du Health data hub aux critiques visant cette attribution, consistait à expliquer son choix par le critère d’urgence et la couverture complète de ses exigences relatives à la mise en œuvre d’intelligence artificielle par la solution de la société Microsoft. Constat qui ne souffre pas nécessairement d’objection. Toutefois, s’agissant d’un hébergement de données de santé et d’un saut technologique ayant un effet de stimulation de l’écosystème du numérique en santé, on peut légitimement s’interroger sur une modalité de choix qui a conduit naturellement et objectivement à retenir le candidat américain. Or, en tenant compte d’enjeux et objectifs plus larges que la stricte couverture du besoin, un panel d’instruments plus important aurait pu être mobilisé sans toutefois dénaturer le besoin initial. Par exemple, considérant que le besoin visé ne pouvait être satisfait en l’état que par un nombre très restreint d’acteurs, il aurait pu être assigné pour objectif au marché de contribuer à l’innovation technologique, ce qui aurait justifié de recourir à un partenariat d’innovation, lequel aurait pu satisfaire au besoin tout en augmentant la probabilité de promouvoir un acteur national. La solution actuellement en œuvre s’appliquant à une phase expérimentale, il y a fort à parier que l’étape suivante fera l’objet d’un appel d’offre tenant compte des enjeux stratégiques autour de ces thématiques.
Conclusion
Il est prévisible que la transformation du domaine des achats publics s’accélère. Le contexte actuel a mis en lumière les insuffisances du droit et des pratiques pour garantir continuité et maîtrise des achats et a, en parallèle, exacerbé le besoin d’approfondissement des questions structurantes qui animent la commande publique en matière de durabilité et de bénéfices pour le tissu économique national. Ces notions, longtemps considérées contradictoires avec le cadre juridique de l’achat public, sont désormais légitimes si elles sont mises en œuvre selon une stratégie d’achat conforme et soutenue par des outils adaptés.
Nous avons pu dresser ici un premier panorama des options envisageables dans le cadre existant. Bien évidemment, celles-ci doivent être sélectionnées et ajustées selon les spécificités des opérateurs publics concernés. Il nous apparaît néanmoins important de réfléchir, dès à présent et afin d’appuyer efficacement la relance économique, à une stratégie d’achat ciblant les objectifs suivants :
- À court terme : le soutien immédiat à l’économie et aux opérateurs privés qui subissent les effets de la crise ;
- À moyen terme : le déploiement d’une démarche de performance adossée à des indicateurs quantifiables et au respect du principe de bonne utilisation des deniers publics ;
- À long terme : le verdissement et la socialisation durable des achats publics.
Cette réflexion devra naturellement s’accompagner d’une consécration de la notion d’autonomie stratégique des achats publics. À ne pas confondre avec une forme de protectionnisme, celle-ci se définit par la liberté de choix dans la mise en œuvre des stratégies de politiques publiques et garantit une autonomie décisionnelle de la puissance publique.
Dorian MEIGNIEN, Anne SCHISSLER